Chékou Oussouman, représentant régional pour l’Asie et le Pacifique de l’OIF, lors de l’interview accordée au Courrier du Vietnam. Photo : CVN
Pourriez-vous nous faire part de votre plan d’action en tant que dirigeant de la Représentation régionale pour l’Asie et le Pacifique de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ?
Les priorités de mon mandat peuvent être résumées en trois points importants. D’abord, la promotion et le rayonnement de la langue française, mais le français utile, par exemple, le français, langue de la communication, de la diplomatie, des affaires, des technologies, des finances, et aussi de l’emploi. Pourquoi ? Parce que beaucoup de jeunes attendent que le français ou la francophonie leur offre des possibilités d’insertion professionnelle dans l’espace francophone. Cette première priorité est l’objet même de l’existence de notre organisation.
La deuxième priorité, c’est l’appui aux États membres en matière d’éducation parce que les jeunes francophones souhaitent que la francophonie soit une opportunité, un espace d’éducation de qualité et de mobilité, de réseautage et d’insertion professionnelle. Pour cela, la francophonie dispose de plusieurs leviers et programmes de coopération portés par la Conférence des ministres de l’éducation nationale (Confemen), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Institut de la formation et de l’éducation (IFEF) ainsi que l’Université Senghor d’Alexandrie.
L’éducation est une thématique centrale des actions de l’OIF qui a mis en place des mesures afin d’appuyer au mieux la continuité éducative et l’accès aux ressources éducatives et culturelles en français, avec un objectif affiché : "Se mobiliser collectivement pour permettre à des millions d’enfants de continuer à apprendre et tout faire pour ne laisser personne au bord du chemin".
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, la grande partie des États et gouvernements membres de la Francophonie ont dû fermer totalement ou partiellement leurs écoles. La pandémie aura empêché au moins 300 millions d’élèves, dont 81 millions scolarisés en français, de se rendre à l’école et affecté 9,4 millions d’enseignants dans l’espace francophone. À l’ère du numérique, il faudrait envisager tout un programme en matière d’appui à l’éducation de qualité via la formation technique professionnelle, et également la possibilité de la mobilité pour aller étudier dans l’espace francophone.
Et je me réjouis d’ailleurs de voir que le XIIIe Congrès national du Parti communiste du Vietnam (tenu du 25 janvier au 1er février à Hanoï, ndlr) a fait aussi de l’éducation et de l’enseignement à l’ère numérique un volet important de son action pour ces prochaines années. Dans l’espace francophone, il y a beaucoup de jeunes qui entrent sur le marché du travail et nous voulons leur proposer à la fois la possibilité d’être éduqués mais aussi de prétendre aux opportunités d’emplois décents.
La troisième priorité, c’est la promotion de la coopération économique. Vous avez vu que le COVID-19 a ébranlé tous les modèles économiques existants et il est important aujourd’hui que la coopération économique soit une des priorités de l’action de la francophonie. Les pays membres ont adopté en novembre dernier une stratégie économique 2020-2025 pour une prospérité durable au sein d’une francophonie, résiliente, solidaire, inclusive et innovante. L’atténuation des impacts socio-économiques de la pandémie et la relance qui s’impose figurent parmi les principaux défis de cette stratégie quinquennale. Les efforts extraordinaires qui seront nécessaires pour traverser cette crise constituent néanmoins une opportunité de mettre en œuvre un autre modèle de développement, plus équitable, plus durable et plus inclusif.
Pays membre de la Francophonie, le Vietnam et la région de l’Asie-Pacifique est un grand acteur de l’espace économique francophone, au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), dans le partenariat avec l’Union européenne (UE), ou encore dans le cadre du rapprochement des régions francophones Afrique - Asie - Union européenne.
Pourriez-vous préciser la troisième priorité, la promotion de la coopération économique ?
Je veux souligner la coopération économique entre le Vietnam et l’Afrique francophone. Nous avons travaillé avec le ministère vietnamien de l’Industrie et du Commerce en vue de contribuer à accroître les flux de commerce et d’investissement, qui restent encore très faibles, malgré les opportunités. Nous continuons de mettre en place des actions de négociation entre partenaires d’affaires qui ont commencé l’année dernière.
Il faut aussi agir pour permettre aux nouvelles générations d’entrepreneurs francophones de mieux se connaître, de mieux saisir les opportunités de coopération, à commencer par les entrepreneurs vietnamiens et africains. Nous avons travaillé avec des acteurs vietnamiens tels que l’École supérieure de commerce, l’École supérieure de commerce extérieur, en lien avec la Chambre d’Industrie et de Commerce du Vietnam (VCCI) et d’autres partenaires pour, très vite, les mettre en connexion avec leurs homologues de l’Afrique centrale, et de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons ciblé quelques pays pilotes avec lesquels nous allons faire ce travail de rapprochement : le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Cameroun par exemple.
Enfin nous apporterons un appui au développement de partenariats entre les régions du Vietnam avec celles des régions des pays européens membres de la Francophonie, afin de mieux tirer les avantages de l’Accord de libre-échange Vietnam - UE. Par exemple, plusieurs régions françaises peuvent aujourd’hui travailler avec des provinces vietnamiennes. Cette année, nous allons mettre en contact deux ou trois régions françaises avec quelques provinces vietnamiennes pour établir des partenariats en vue de mieux tirer profit de cet accord.
Quels sont les projets mis en œuvre, cette année, par la Représentation régionale de l’OIF pour continuer à valoriser la francophonie, et notamment à dynamiser la coopération économique, un des volets importants de la communauté francophone ?
La première chose qu’il faut dire, c’est que nous nous concentrons à présenter les actions de soutien à la promotion de la langue française aux parties prenantes du Vietnam mais aussi de l’Asie. Notre organisation a évolué et les pays d’Asie l’ont aussi. Il y a de nouvelles demandes de coopération, particulièrement dans les domaines de la jeunesse, de l’insertion professionnelle, de la coopération économique.
Dans le domaine de l’éducation, nous allons renforcer de nouvelles formes de coopération entre les différents acteurs. Avec la question "Quelles sont les opportunités qui s’offrent aux étudiants vietnamiens désireux d’aller étudier en Europe, au Canada ou bien aussi en Afrique, et vice versa ?", nous travaillons de manière très étroite avec le ministère vietnamien de l’Éducation et de la Formation et celui du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales.
Nous envisageons aussi de faciliter la mobilité des enseignants francophones du Vietnam pour aller faire des stages d’immersion dans les pays francophones.
Un agenda international important de la Francophonie pour cette année, c’est le Sommet de la Francophonie. Reporté l’année dernière, il va avoir lieu cette année à Djerba en Tunisie. Nous allons le préparer soigneusement pour qu’il regroupe un grand nombre d’acteurs de la région et particulièrement du Vietnam. Nous avons la confirmation que le Vietnam va y participer. À côté de ce sommet, il y aura un forum économique important.
Un autre événement majeur va se passer au Vietnam. Nous envisageons d’organiser une mission économique d’un nouveau genre et d’un nouveau modèle parce qu’il y a des possibilités de connectivité en matière de commerce et d’investissement qui nécessitent d’être promues. Une délégation des parties prenantes de l’Europe, du Canada, mais aussi de l’Afrique viendra passer une semaine au Vietnam pour discuter des questions économiques, négocier des partenariats, et peut-être signer des accords.
Nous espérons que la secrétaire générale de la Francophonie va conduire elle-même cette mission. Je vous fais un scoop, nous sommes en contact avec les ministères vietnamiens de l’Industrie et du Commerce, et des Affaires étrangères. Dans les jours à venir, nous allons nous réunir pour préparer cette mission qui va se passer tout d’abord au Vietnam, puis au Cambodge.
La crise sanitaire a des impacts importants sur toutes les activités socio-économiques et culturelles. Dans ce contexte très difficile, quelles sont les mesures proposées par la Représentation régionale pour l’Asie et le Pacifique de l’OIF pour surmonter ces obstacles ?
Notre Représentation régionale s’est adaptée à ce contexte difficile afin d’assurer la continuité de ses missions, dans le respect des réglementations en vigueur. On a pu observer des actions hybrides telles que combiner télétravail et présentiel quand c’est possible, tout en observant les gestes barrières. Mais en plus de cela, une chose importante pour l’OIF, c’est le soutien à la continuité éducative dans les enseignements primaire, secondaire et supérieur. Tout un programme d’appui à la continuité de l’éducation et à la formation en ligne a été adopté. Nous avons créé aussi une plate-forme d’information sur la pandémie dans la région et tous les jours, nous informons notre siège et les autres pays membres.
Ici, à la Représentation, nous sommes alignés sur les instructions des autorités nationales dont il convient de saluer les résultats dans le contrôle de la pandémie. Nous travaillons également avec les autres pays de la région, et procédons à des ajustements nécessaires en recourant aux modèles de travail à distance ou des actions hybrides. Ce modèle a été appliqué avec succès, les 22 et 23 octobre 2020, dans le cadre du Forum international Franconomics, co-organisé par le ministère vietnamien des Affaires étrangères, l’OIF et l’Institut francophone international (IFI) avec plus de 800 participants nationaux et internationaux. Le numérique nous offre la possibilité de télé-travailler, de télé-échanger, et pourquoi pas de télé-affaires.
Vous avez commencé votre mission au Vietnam dans un contexte très difficile lié au COVID-19. Quelles sont vos observations sur la lutte contre cette épidémie du gouvernement et de la population du Vietnam ?
D’abord, permettez-moi d’adresser les remerciements de l’OIF aux autorités vietnamiennes ainsi que les hommages à toutes les parties prenantes continuent de lutter contre cette pandémie et ses effets socio-économiques qui, au-delà du lourd bilan humain provoqué par la crise sanitaire qui perdure, les conséquences économiques et sociales de la catastrophe s’annoncent dévastatrices. Grâce à la bonne mesure de la dangerosité du COVID-19, le Vietnam a pris les mesures appropriées et dont les résultats très satisfaisants nous offrent la chance, de vivre avec la certitude que nous avons très peu de risques d’être contaminés.
Un élément assez important que je dois signaler, c’est la confiance de la population dans l’application des mesures sanitaires, le respect de la distanciation sociale et des règles barrières. Tout le monde s’est engagé avec enthousiasme, y compris moi-même. J’ai été impressionné de constater, la mobilisation générale dans les efforts de la lutte contre la pandémie, dans les administrations publiques, le rôle des parties prenantes nationales telles des forces de défense et de sécurité, la société civile, la jeunesse.
J’apprécie la solidarité exprimée par la population vietnamienne, entre elle, les dons, les actions ont été mises en place pour permettre aux habitants démunis d’avoir accès à la nourriture, les distributeurs de riz par exemple. Je veux parler également de la solidarité que le Vietnam a apportée à beaucoup d’autres pays du monde, en leur envoyant des kits de tests, des dons des masques et bien d’autres produits. C’est une importante leçon que nous pouvons partager dans l’espace francophone, parce que devant le phénomène de cette nature, tout le monde doit être mobilisé./.